Quand le mal nous prend.
Nous sommes en 1998, dans le port militaire de Brest. Je suis matelot sur la goélette la « Belle-Poule » et je vais pour la première fois prendre la mer pour plusieurs jours.
7h00, je lance le groupe électrogène et le moteur de propulsion en compagnie du mécano. Tout en bossant, il me dit « t’as entendu le bulletin météo ? » …Ca va branler apparemment !!! » Ces mots ne me rassurent pas et je me pose la question que tous les marins débutants se posent : est-ce que je vais être malade ? .
8h00 : nous sommes prêts, les élèves officiers sont embarqués comme passagers, les amarres sont prêtes à être larguées et nous attendons tous l’ordre du commandant… « tout le monde au poste de manœuvre ! » Chaque personne s’affaire à son poste tandis que les passagers eux regardent et blaguent entre eux. »« Larguez la pointe avant, moteur avant 800 et larguez la pointe arrière quand elle est molle !!! » Ca y est, nous partons, nous quittons le port de Brest, pour une tournée de deux mois le long des côtes françaises.
Le temps n’est vraiment pas au beau fixe. Le vent s’est levé durant la nuit et souffle maintenant à 25 nœuds environs. Dans la rade de Brest des petites vaguelettes se sont formées et elles moutonnent… Nous hissons quelques voiles comme la trinquette, la misaine et la grand voile à mi-drisse (mi-hauteur) avec les passagers et nous contemplons en dernière fois le port avant de passer le goulet de la rade.
Il est 11h00, la plupart des élèves officiers sont toujours aussi joyeux sauf quelques-uns un qui commence à faire la moue. C’est le premier service….. La moitié de l’équipage rentre à l’abri pour manger. Les passagers mangent et dorment au milieu de la goélette tandis que l’équipage des matelots est à l’avant. Pour mon cas, je suis du deuxième service et je mangerai à midi. Pour l’instant, j’ai faim, c’est bon signe. La cuisse (le cuistot) a fait un repas bien consistant et les odeurs qui sortent de sa cuisinette (à bord elle est très petite) me font crier mon boyau.
12h00, nous avons passé au large devant la baie de Douarnenez et avons pris le cap au 190°. Le roulis de la goélette s’est amplifié, mais pour moi ça reste supportable (pour l’instant) le vent s’est renforcé avec une moyenne de 30 nœuds et nous avons mis la voile de cap. Cette voile, je ne l’aime pas. Généralement quand on l’a met ça va branler sec que m’a dit le bosco (chef manœuvrier) Mais bon, c’est l’heure de la soupe, je descends, j’enlève ma veste de quart et m’installe avec les autres matelots. La sensation est surprenante la première fois ; j’ai l’impression d’être dans un manège : ça bouge, tout le monde rigole et s’amuse avec les couverts qui glissent sur la table des matelots à bâbord aux matelots à tribord.
Au fur et à mesure que le repas avance, j’ai de plus en plus chaud. Comme des bouffées de chaleur et j’ai l’impression que mes yeux ont un temps de retard quand je fixe quelqu’un. Pour l’instant, personne n’a remarqué que je commençais à avoir le mal de mer…
Le repas se passe tant bien que mal…. Ne pas faire attention aux sensations, se fixer sur le repas…. Le repas….Les bouchées me paraissent de plus en plus grosse. L’aspect, l’odeur, la texture commence à me dégoutter. Mais bon, par fierté, je finis « Yoyo, ça va ? T’es tout blanc » Ca y est, je suis repérer. « Tu devrais aller te coucher, car on prend le quart à 16h00. « Oui, mais avant, je vais prendre un peu l’air… » Je me lève de table, les vertiges se font de plus en plus violent. J’ai de plus en plus chaud, je transpire. Malgré tout, mon estomac s’est calmé, sans doute parce qu’il était plein.
Au-dessus de ma tête, le mât de misaine, tous les cordages sont fouettés par le vent et la pluie qui s’est mise de la partie.
« Au poste de manœuvre, paré à virer à bâbord !!!!! » Cette fois-ci on va prendre la houle en travers. Il faut que je me dépêche à enfiler mon ciré, mes bottes et ma veste de quart avant que ce ne soit trop « sport » pour s’habiller. N’étant pas de quart, je préfère attendre la fin de la manœuvre pour éviter de gêner l’autre équipe.
L’air, de l’air, qu’il est bon cet air… Mes vertiges disparaissent et mes bouffées de chaleur s’atténuent. Ouf, ce fût juste !!! Sur le pont, les élèves officiers sont moins enthousiastes. Ils se calent dans du coin du pont où la pluie et le vent se font moins fort. Le bateau commence à tanguer, les vagues se heurtent sur la proue du bateau et donnent l’impression qu’elles vont stopper net la goélette. Le moteur tourne toujours. Il n’a pas grande puissance mais c’est un appoint qui nous permets d’avancer un poil plus vite (entre 4 et 7 nœuds) Tant bien que mal, je retrouve le mécano prêt du pupitre de commande des machines. Il n’a pas la forme. Il s’est lové sous le pupitre et ne parle pas. « Tu vois, il a moins de bouche, là » me lance le chef que quart. « Dès que ça branler, ‘y a plus de chouff (quartier-maître chef) mécano !!!! » « Yes », au moins l’honneur est sauf. Si je dois être malade autant l’être après lui.
14h00 : je suis un peu barbouillé, mais ça va j’ai repris confiance et je vais aller me faire une sieste. Tant bien que mal, je retrouve mes collègues dont certains déjà ronflent comme des cochons… J’y crois pas, comment ils font pour dormir…. Dans le poste équipage, il y a un bouquant d’enfer, les chaînes des ancres tapent dans le puits aux chaînes, le vent et les vagues font un bruit de fond effrayant, le bois de la coque grince… Et eux ils dorment !!! J’y crois pas. « Faut que je me grouille, les vertiges et mes bouffées de chaleurs reviennent… » Je me déshabille et m’enfile dans les draps de ma bannette. « Ne pas faire attention au mal de mer….Je suis barbouillé mais pas malade…. Ne pas faire attention au mal de mer….Je suis barbouillé mais pas mala…. ».
15h45 : « Yoyo, debout c’est de prendre ton quart… Tu vas te marrer va voir le mécano ».
C’est l’équipier du chef Bosco qui me réveille. Un dur à cuire au premier abord mais un gars très attentif aux autres. Pour moi, ça ne va pas très fort…..Mes bouffées de chaleur m’assomment tandis que mes vertiges me découragent. L’estomac, lui, fait des voyages. Il suit le mouvement de la houle. Un coup il chatouille mes amygdales, de l’autre se retrouve près de ma vessie. J’ai envie de vomir… Tout en gardant l’équilibre, je me dépêche de me rhabiller et file sur le pont prendre l’air.
Sur le pont, tout le monde s’accroche. L’équipe quittante a installé les lignes de vie et chaque homme est relié à celle-ci grâce aux harnais. Je retourne voir le mécano pour le relevé Il n’a pas bougé de l’endroit et vomir en faisant un râle grave. « ‘vais me coucher, RAS, burp, bon courage » Tels fût ses mots avant de filler se coucher au chaud. (Ça c’est de la relève….)
La mer est démontée et le commandant attend le bulletin météo dans la passerelle. Nous sommes au large de la baie d’audierne. Et nous n’avançons pratiquement pas. Face à la houle, tout le monde se tiens, regarde la passerelle et espère que le temps va se calmer…
Le commandant sort, me regarde et me dit « allez les feux de navigation ». Je m’exécute et allume les feux de navigations. Pour être certains que tout fonctionne, je fais ma ronde en m’accrochant de toutes parts afin de ne pas tomber. Bâbord et tribord ; c’est bon. Le feu avant c’est bon. Le feu arrière ne marche pas. L’arrière (poupe) du bateau, c’est comme à l’avant : ça bouge énormément… « faut que ça tombe maintenant… j’ai pas la force d’y aller….Faut y aller…. » Je file chercher une ampoule, tout en lutant contre le mal de mer. Mais je me suis m’y à rôter… « tant que je ne vomi pas… ». Les rôts se font de plus en plus long le temps de trouver la bonne ampoule. Mes vertiges et mes bouffées de chaleurs sont à leurs paroxysmes quand je me mets à changer l’ampoule. C’est fait, le feu arrière fonctionne. « J’ai envie de dégueuler, j’en peux plus… » Je me suis mis au pupitre machine près du barreur et de toute l’équipe de navigation et j’attends des nouvelles. Où va t on jeter l’ancre ? Quelques minutes d’attente vont lever le mystère « On continue, on ne peut pas mouiller dans la baie, et la tempête n’a pas fini » Là, toutes mes forces m’abandonnent…. Je ne vais pas bien…. Je vais vomir….
D’un seul élan, je me jette sur le plat-bord côté bâbord pour vomir. Avant même me pencher par-dessus bord, je sens que je ne contrôle plus rien. Mes entrailles veulent sortir…j’en peux plus…j’ai plus de force….Tant pis…..
Mon corps me fait comprendre de toutes ses forces qu’il ne va pas bien. Je ne pense plus à rien. Je me soulage. Malgré les furies, j’entends une vois qui crie « Bordel prenez le, s’il continue, il va se foutre à la baille !!!!! » C’est l’officier en second, « en plus, il gerbe sur la coque !!!! » Là, le chez Bosco je me prends par l’épaule et m’emmène de l’autre côté. « Hé yoyo, t’as pas gazé, il faut toujours vomir du côté opposé au vent !!! Tu salis la coque…. » Mais qu’est ce que j’en ai à faire…La coque. Et puis y a pas assez d’eau autour et au-dessus de nous pour la laver ? « Nan, mais quoi !!! » je marmonne…
Après, cet effort, je vais mieux…..Non ça recommence….Ça y est, c’est reparti…. Plus ça va plus j’ai l’impression que mes entrailles vont sortir. Pourtant, je n’ai plus de vertiges, plus de bouffées de chaleur et je continue de vomir….Combien de temps ça va donc durer ? En plus va falloir descendre en machine faire ma ronde et mes relevés… Rien que de savoir qu’il va falloir aller dans un local confiné, chaud où les odeurs d’huiles chaudes, de gasoils et d’eaux de fond de cale ça me fait v… Tel un zombie, je rassemble mes dernières forces et me dit « c’est l’avant-dernière ronde avant d’aller se coucher » Sur la goélette, quand tout va bien une ronde dure sensiblement 30min quand tout va bien. Là, fruit du hasard ? Rien ne va…
Le bateau tangue, donc les vagues frappent la proue du bateau, l’eau se déverse sur le pont et une partie s’engouffre dans les puits aux chaînes des ancres. C’est le passage des chaînes qui va du fond de cale au pont. Il y a de l’eau sous le moteur, il faut l’évacuer rapidement. Je me mets donc fonction une pompe électrique et parallèlement je pompe manuellement avec une autre. Elle se situe face au niveau de gasoil d’une des cuves. J’ai donc le niveau face à moi et me rappelle que tout bouge à l’intérieur. Tout bouge à l’intérieur, mon estomac aussi…..Et c’est reparti…..Par chance, j’ai pensé à prendre un sceau avec moi. Je fais mes relevés, histoire de me reposer le bras, je vomis, j’ai chaud, mes vertiges sont revenus, cette odeur,….
« Mais qu’est ce que je fais ici ? » »Allez pompe et vomis »
20h00 : La relève est là, mais je n’ai pas fini. Il y a toujours de l’eau…. « Il arrive ou quoi ? »
C’est alors que je me décide d’aller le chercher. Je sors des machines, vide mon sceau (ce coups-ci du bon côté) et je vais le chercher. AAAAhhh cet air, ce frais, ça va mieux mais si je revomi….A ma surprise, je le retrouve au même endroit où nous nous étions séparés. En plus il a repris la position fœtale et vomis-lui aussi… « ‘faut que tu descendes, j’ai fait les relevés mais, il y a d’eau dans la cale, à toi de pomper » Il me répond « hum kay i v, burp » Même dans mon état, j’eu la force de rire. Il avait une telle bouche à quai et de le voir ainsi m’amuse.
Toute l’équipe descend au poste avant, mais moi, je reste sur le pont. J’ai peur de revomi. Mon œsophage me brûle, ce qui sort n’est plus que de la bile….Là le cuistot, me croise, me regarde horrifier et s’en va en courant… Surpris, je me retourne et je le vois fouiller dans ses réserves. Il me ramène une banane…. Comme si j’allais pourvoir avaler ça « tiens, mange donc ça, t’as une sale gueule » « surtout fait le maximum pour la garder et si tu la vomis, tu verras. Ça aura le même goût et surtout ça glissera » Je l’a prends et la mange par petites bouchées. A chaque bouchée, j’ai l’impression que le morceau fait comme la houle : il fait le yoyo dans l’œsophage. 2 minutes plus tard, la banane voguait parmi les vagues…
21h00 : usé, fatigué, je me décide à descendre au poste avant. Tous les autres ont fini de manger et se préparent pour aller se coucher « yoyo, tu veux un coup de main » me dit un collègue. Je le regarde et fait signe de la tête que non, je vais me débrouiller tout seul « merci » je le dis. « T’en fait pas, on est tous passés par-là » Il sourit et va se coucher.
Je suis au milieu du poste avant, je suis trempé, fatigué, j’ai froid, je ne sens plus mes jambes et mon moral est au plus bas. Je prends un sac poubelle, m’allonge à même le sol, je le mets près de ma bouche, je ferme les yeux et vomis…. Malade…je suis malade…. Qu’est ce que je fais ici ??? …. Malade…je suis mala….
2h00 : « yoyo, c’est du quart ! » Je me lève. Le temps est exécrable….Mais….Bin ça alors !!!! Je vais mieux….. J’ai faim…..C’est fini ? Nous sommes au cap90° environs et la houle est derrière nous. Le bateau bouge moins. Toujours ce vent, cette pluie, ce froid mais plus de vertiges, chaleurs et l’envie de vomir. « Alors yoyo, ça va mieux ? » « Oui » « c’est comme les impôts, c’est toujours la première fois que ça fait le plus mal, mais t’en verras d’autre !!! » C’est le mécano, « tiens? Tu as retrouvé ta grande bouche ? » Tout le monde rie. « Yoyo, bienvenue au club !!!! » C’était le commandant.
Epilogue
J’ai passé huit ans dans la marine, dont 6 embarquées. La première fois reste toujours marquée dans ma mémoire. C’est comme si c’était hier. Et à refaire…Bon sang, je me surprends mais : oui à refaire.
J’en ai connu d’autres, de tempêtes depuis, et je fût bien barbouillé mais plus jamais j'e n'ai plus jamais vomi. J’ai connu de la casse à bord et des voies d’eau durant des tempêtes et pour rien au monde je ne regrette ce que j’ai vécu..
NB : durant le voyage, nous avons eu des creux de 8 à 10 mètres avec des rafales de vents montant à plus de 30 nœuds durant toute la traversée. Tous les élèves officiers ont été malades, ainsi que d’autres membres de l’équipage.